Les yeux de Tanya Lopert
Par Anne Bounaix, dans «Le vrai monde » de Pierre Gaffié
Voilà un regard lumineux et étrange. Lumineux car les iris sont étincelantes mais étrange car on ressent un contraste avec quelque chose de plus obscur. Un mélange d’extériorité ample et une intériorité magmatique. On pense à ces lumières solaires dans des jardins sombres la nuit. Ces lueurs n’éclairent pas mais disent délicatement et efficacement une présence en vous invitant à avancer dans le noir.
Vous croisez par hasard ces yeux-là et vous êtes happés par cette lumière ambigüe. C’est la même sensation que celle ressentie parfois, quand sur un trottoir, un sourire de biais nous est anonymement destiné. Sans doute est-ce, ce qu’on appelle, un regard accrocheur. Vous êtes interpellés en un clin d’œil et de façon mutine.
Ce regard est vif, furtif, légèrement appuyé. Vous comprenez que c’est à prendre ou à laisser. L’échange c’est pour tout de suite ou ne sera pas. La Vie c’est maintenant. Il y a une forme d’urgence. Vous êtes invité avec légèreté à un embarquement pour des sentiers non battus. On ressent la puissance du désir, de l’élan.Vous partagez ce regard et vous êtes pris dans une connivence à plein regard comme on dit à pleines mains. Il y a de l’audace et de la générosité à saisir et à échanger. Ça c’est le côté lumineux de l’extériorité.
Ces yeux au bleu des saphirs de Ceylan ont beaucoup vu et vous le devinez. Ils ont posé tous les regards et ont posé toutes les questions.
La réponse n’est jamais advenue. C’est pour cela que ce regard vous interpelle avec une dérision souriante.
Il semble surfer sur le réel mais en même temps semblent vous dire que le réel n’a pas lieu, que tout va si vite que rien n’est vrai. Illusion de nos regards sur la surface de nos vies, illusion d’optique. Voilà la dérision de ces yeux. Ou l’on est Sisyphe ou l’on choisit le rire ! Nos existences se baladent sur des sables mouvants. Il faut avancer, comme dans le noir, un pied après l’autre, pour ne pas s’enfoncer. Nous reste à être légers, mutins pour poursuivre l’élan quels que soient les fonds abyssaux.
Ça c’est le côté sombre de l’intériorité.
Comment ne pas être heureux de partager ce regard à l’ humour aigu, quand on sait l’endroit et l’envers, le dessus et le dessous, la lumière et les ombres de nos existences ?
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