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Une étudiante, ses questions... Séphora, Marionnaud et Tarantino...

IL y a deux semaines, une étudiante de seconde année, en art, m'a posé des questions pour un mémoire. Elle m'a autorisé à reproduire mes réponses sur le site de "Différent productions".

Pierre Gaffié


Qui êtes vous ? (une présentation de vous, de vos travaux et de votre parcours scolaire)

Je suis cinéaste et producteur. Mon dernier film (« Et bien ouïe ») a remporté le concours national « Femmes et sciences » organisé par le Centre du Cinema et le Ministère de l’Enseignement supérieur. Il passe actuellement sur France 3. C’est l’histoire d’une acousticienne qui met au point une invention extraordinaire pour essayer d’aider les gens à faire leur deuil. J’ai également réalisé « Apocalypse notes », une fable sur la fragilité de la musique qui, si on n’y prend pas garde pourrait disparaître à l’image des ours polaires et de la banquise. Ce film est diffusé actuellement avant des longs-métrages comme « La nuit du 12 », César 2022. Je viens d’achever un documentaire sur le quotidien d’un salon de tatouage. J’ai fait des études de philosophie, à une époque où je travaillais comme animateur -bénévole- dans une radio libre près de Toulouse. Quelle ne fut pas ma surprise, juste après mon inscription, de découvrir que cette université mettait en place des cours optionnels de « Philosophie du cinéma » ! Même si les cours étaient parfois abscons, ils avaient l’avantage de me maintenir dans le sillon que je voulais tracer : le cinéma. Pendant plusieurs années, j’ai fait de la radio, puis de la télé, notamment à Canal Plus dans l’émission culte « Nulle part ailleurs ». Il y a eu deux déclics inattendus. Un jour, j’avais 20 ans, Daniel Auteuil était invité de ma radio, mais comme chanteur, pas comme acteur. A l’époque, il avait moins de succès, était au creux de la vague. Les animateurs, même les "cadors de l’antenne" ne se bousculaient pas pour l’interviewer. Alors, j’ai saisi ma chance. Auteuil a beaucoup aimé cet entretien (une heure et quart) et à la fin il m’a dit « Merci, Pierre ». Et je me suis rendu compte qu’il me tutoyait depuis 20 minutes à l’antenne. Moi qui était encore à la Fac, et un jeune homme plutôt réservé, je me suis dit : « Il faut poursuivre dans le journalisme cinéma ! ». L’autre déclic, c’était lors d’un festival de Cannes : je présentais ma chronique au bord de l’eau, sur la Croisette pour Canal Plus, et à la fin, le chanteur Daniel Lavoie (connu pour « Notre-Dame de Paris ») est venu me voir et m’a dit « Tu devrais écrire des scénarios ! ». Cette parole (encore un tutoiement) a été un vrai électrochoc. Je me suis dit « Pourquoi pas ? ». Je commençais à me lasser de la télévision, avec tous ces faux spectateurs présents en plateau pour rire artificiellement des « blagues » des animateurs. (j’en ai d’ailleurs fait un film satirique : « L’homme aux bras d’or »). J’ai décidé d’arrêter la télé, tout le monde m’a pris pour un cinglé, mais j’ai suivi mon instinct. J’ai créé une société de production, qui a eu des hauts et des bas. J’ai donné leur chance à de très jeunes cinéastes, qui avaient à peine 20 ans, et je les ai accompagnés financièrement. On a perdu beaucoup d’argent, mais aujourd’hui ils font des longs-métrages. Pour moi, l’art c’est prendre des risques.


En tant que réalisateur,ou trouvez-vous votre inspiration ? Avez-vous des inspirations particulières ?

C’est une question que tout le monde devrait se poser, mais aujourd’hui, dans les faits, elle ne se pose presque jamais. Au moment où j’écris ces lignes, de quoi parle t-on dans le cinéma ? De la sortie des « 3 mousquetaires » ! Et le mois dernier ? De « Astérix » ? Pour ces films là, pas besoin d’inspiration, il suffit de piocher dans le patrimoine, et de réunir un budget colossal. Ce n’est pas ma vision de l’art. Pour moi, l’art, c’est un lézard ! Et pas seulement pour la beauté de la rime ! Un artiste doit se faufiler à travers la réalité, glaner des choses, se montrer, se cacher, renifler ce qu’il y a dans le monde et ce qu’il a en lui… Je pense que tout peut être inspirant : un beau visage, une parole prononcée par un anonyme dans la rue, un chat perdu. En fait, il « suffit » (je dis « il suffit » mais en fait c’est très dur) de se sentir libre et de ne pas avoir peur d’écrire, de noter des petits détails, qui ont l’air absurdes mais qui un jour feront sens. Après tout, Van Gogh a peint des choses très banales, mais c’est ce qu’il en a fait qui est extraordinaire. C’était pourtant un homme simple.

Je dirai que mes inspirations sont diverses : je viens de finir un film étonnant, en hommage à Pink Floyd, et qui sort -coïncidence- le jour des 50 ans de « The dark side of the moon ». Et bien, cette idée était née en 2005, elle racontait l’histoire de gens simples qui vénéraient de façon étonnante ce disque. A l’époque, une chaîne de télévision n’en a pas voulu. Puis, l’an passé, j’ai repensé à cette idée, et je me suis dit : « Sortons-là du placard et voyons où ça mène ! » Le tournage a été épique mais source de beaucoup de créativité de la part de toute l’équipe.

Bien sûr, je puise, comme tout le monde, l’inspiration dans mes blessures, celles de l’enfance, de l’adolescence et celles qui peuvent surgir à tout moment. Changer le chagrin en film, ou en livre, ou en chanson, c’est peut-être la chose la plus puissante dans l’être humain. C’est mieux qu’un anti-dépresseur.

Quel à été le déclic ou vous vous êtes dit que c’est ce métier que je veux faire, celui où vous vous êtes dit que c’était ce métier que vous vouliez faire, qui allait vous rendre heureux et aucun autre ?

J’ai un peu répondu dans la question 1. Si je voulais élargir le débat, je dirai que, en 2023, rares sont les gens qui n’ont qu’un seul métier. Beaucoup de cinéastes (même des très connus) sont enseignants, ou designers de discothèques, ou metteur en scène d’opéra, ou même des vitrines des Galeries Lafayette (comme Pedro Almodovar). Et en sens inverse, beaucoup de musiciens deviennent cinéastes (Quentin Dupieux, Grands Corps Malade, Woodkid). Je vais citer la phrase de Stanley Kubrick : « On ne devient pas artiste parce qu’on a quelque chose de précis à dire, mais parce qu’on a ENVIE de dire quelque chose ! ». Je crois que c’est vrai. On passe souvent des années à tâtonner avant de trouver sa voix, et sa voie. En toute logique, j’aurais dû plutôt devenir écrivain, c’eut été logique au vu de mes études. Mais je me suis rendu compte assez jeune du côté à la fois massif et intime du cinéma. Je me souviens d’avoir ressenti un très grand malaise pendant le film « Les aventuriers de l’arche perdue », de Spielberg, quand Harrison Ford tue en souriant, d’un coup de revolver, un combattant sans arme à feu. Toute la salle (500 personnes) s’est mise à rire, mais pas moi. C’était plutôt l’inverse. Je me disais : « Imaginons que les rôles des personnages soient inversés ! ». On trouverait ça infâme, injurieux. J’ai immédiatement compris que le cinéma brouille notre sens moral et c’est très dangereux. Cette scène, qui a tant fait rire les gens, et que je continue à trouver abjecte, a créé des tensions dans le monde. Même chose pour « Top gun » qui, sous couvert des biceps de Tom Cruise, est un film propre à déclencher des guerres. Faire du cinéma, un autre cinéma, permet de proposer aux gens des films moins caricaturaux et qui questionnent notre âme. Après tout, les choses sont paradoxales : Dans notre vie, nous aimons la paix, et voulons que notre fiancé.e nous soit fidèle ! Pourtant, au cinéma, nous préférons les truands, les escrocs et adorons les mascarades et les histoires d’adultères (« Titanic » ou « Prête-moi ta main »compris). Ce paradoxe, c’est le coeur du cinéma…

Est-ce que vous avez une référence en tant que réalisateur ? (comme un mentor à vos yeux)

Je me méfie du mot « mentor » car j’entends le mot « menteur » derrière. Si on s’abrite trop derrière une figure exceptionnelle, alors notre vraie personnalité ne se développera pas. Comme le disait Peter Brook : « Rien de grand ne pousse à l’ombre des grands arbres ! ».