Tel le monolithe de « 20001 l’odyssée de l’espace » qui l’avait tant marqué, la vie de Michel Ciment était multi-faces. Sa passion pour le cinéma s’accompagnait de sa culture littéraire, pictural et sa connaissance de des civilisations. S’il arrive que certains critiques d’art tournent dans leur références tels des hamsters dans lia roue de leur cage, tel n’était pas Michel Ciment. Me revient une anecdote simple : interviewé un jour sur « Télé Toulouse », il disait, avec son sourire, qu’il voyait les films sans liure le dossier de presse, afin de ne pas être influencé. Et que, de facto, il en savait moins sur les films que certains de ses confrères qui étaient allés, eux, en VIP sur les tournages de films et savait déjà presque tout. Sauf l’essentiel.
A l’image de Stanley Kubrick, Michel Ciment allait droit au but, « à l’os » comme il le dit dans l' émission de radio «Le Vrai monde » (*) à propos de « Full Metal Jacket ». Ses textes, nombreux, denses, ouvraient à chaque fois des hublots de compréhension chez le lecteur. On relisait ses éditoriaux de « Positif », tant ils étaient à la fois dans l’air du temps (qualité obligatoire pour un mensuel ou tout périodique) et INTEMPORELS, car ils donnaient à réfléchir au-delà de l’actualité. Très souvent polémiques, ils étaient du poil à gratter, ou du sel à penser…
Ses présentations de films au « Forum des Images » étaient toujours des moments libres et savoureux. Ses aficionados ne les rataient jamais…
Son livre sur Kubrick (notons au passage la parenté entre les deux mots : la brique et le ciment…) fut un catalyseur de cinéphilie pour tout le monde. Avant la parution du livre, Kubrick était considéré comme un excellent faiseur mais à qui l’on déniait une pensée d’envergure, ou en tous cas cohérente. En citant Blaise Pascal ou Sigmund Freud à l’appui de ses textes et de l’iconographie du livre, Michel Ciment fit glisser Kubrick dans une autre ligue : celle des philosophes cinéastes.
Je me souviens d’une directrice des études de la Femis disant, lors d’une conférence, qu’elle n’était pas rentrée dans Kubrick car elle avait grandi avec « Les cahiers du cinéma » alors que Kubrick était plutôt un auteur « Positif ». Fascinant fut son mea culpa après la mort de Kubrick (en 1999). Cela en dit long sur les querelles de chapelles.
En fait le « Kubrick » de Ciment (**) eut l’impact du « Hitchcock-Truffaut » pour la réhabilitation du cinéaste anglais qu’on taxait surtout de « maître du suspense ». Truffaut insista sur la cohérence de l’oeuvre de Hitchcock et Ciment sur celle de Kubrick. Deux livres passionnants, et qui se sont très bien vendus. A la -grosse- différence près que les questions de Truffaut sont surtout cinéphiles, alors que celles de Ciment sont philosophiques et sociétales. Cela ne veut pas dire qu’un des livres est plus profond que l’autre, mais que le cinéma de Kubrick nous plonge dans des abysses de réflexion que Michel Ciment sut incroyablement bien mettre en perspectives.
Kubrick et Ciment avaient beaucoup d’humour. Dans le livre, Ciment révèle que pour Kubrick, les meilleurs interviews sont celles où le journaliste écrit a posteriori ses questions en fonction des réponses de l’invité. En tous cas de ses propos. C’est aussi la grande qualité du livre de Michel Ciment : l’absence de coutures trop visibles, la fluidité de pensée entre cet homme d’image et cet homme d’écrit.
En Janvier 2023, nous avions reçu Michel Ciment dans le « Vrai monde » pour parler de Kubrick. On y apprit quelques anecdotes savoureuses (et tellement Kubrickiennes !), comme ces chemins mis au points par le cinéastes dans son manoir pour que ses chats et ses chiens adorés ne se croisent jamais. Il fallait que la paix règne dans la maison d’un homme dont la guerre fut pourtant le thème essentiel (« Dr Folamour », «Les sentiers de la gloire », « Spartacus », « Full Metal Jacket »). Guerres qui se prolongeait dans le couple (« Eyes wide shut », « Shining », « Barry Lyndon »). La grande question de Kubrick était le conflit entre civilisation et barbarie », comme Michel Ciment le dit dans cette émission.
On découvre aussi comment les séquences de fantasme en noir et blanc dans « Eyes wide shut » furent préparées par Nicole Kidman et Kubrick…
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